v. act. & quelquefois neutre. Exercer l'action des sens, toucher, voir, gouster, flairer, entendre. La douleur se fait mieux sentir, que la volupté. Quand on veut coupper un membre, on endort, on engourdit la partie, afin qu'elle sente moins de mal. Les joyes & les douleurs viennent quelquefois à un tel point, qu'on ne les sent plus. Il a receu un coup à la guerre, dont il se sentira toute sa vie. On dit aussi en menaçant, Il sentira ce que pese ma main.

SENTIR, se dit plus particulierement de certains sens : comme, les chiens sentent le gibier en flairant, les lieux où il a passé. Il faut que quelque chose brusle, je sens le roussi. Ce Musicien a l'oreille delicate, il sent jusqu'à la moindre dissonance, ou corde fausse. Ce ragoust sent trop la muscade, l'orenge.

SENTIR, se dit aussi de certains instincts naturels qu'ont les animaux pour prevoir ce qui doit arriver, soit par l'impression de l'air, soit par habitude, soit par quelque douleur. Les hyrondelles volent bas, quand elles sentent la pluye, quand il doit pleuvoir bientost. Les chevaux sentent l'avoine, quand ils sont vers le temps de la disnée, ou couchée. On sent qu'une maladie est prochaine, par les lassitudes & pesanteurs des membres. Les vieillards ont des corps qui sont des horloges, qui leur font sentir que le temps va changer.

SENTIR, se dit aussi des connoissances qui viennent de l'esprit & du jugement. Les Juges ont bien senti qu'il y avoit de la fourbe, de la calomnie en ce procés. Ce Traittant ne s'est pas senti les reins assez forts pour entreprendre tout seul cette affaire. J'ay bien senti que cet orage pourroit tomber sur moy. Cet Orateur a bien fait sentir la consequence de cette proposition.

SENTIR, se dit aussi de la chose qui exhale quelque odeur, ou qui a quelque saveur, aussi-bien que de l'impression qu'elle fait. Cet homme sent le vin, sent le pied de Messager, sent le gousset. Ce fromage sent trop fort. Ces viandes sentent le relent. Ces confitures sentent le chansi. Ce rost sent le bruslé. Au contraire on dit que des gants parfumez sentent bon : que le sel en meulons sent la violette : qu'on sent le jasmin, la tubereuse : qu'un mets ne sent ni sel ni sauge, quand il est mal assaisonné : qu'un vin sent le bas, qu'il sent la framboise, &c.

Quand on dit absolument, Il sent, cela s'entend en mauvaise part. Cette viande sent, c'est à dire, est corrompuë. Son haleine sent. Cette femme sent, c'est à dire, qu'elle put.

SE SENTIR, signifie, Participer à un bien ou à un mal commun à plusieurs. Tout le monde se sent des calamitez publiques, de la sterilité, de la guerre, de la contagion. Quand on rabaisse la taille, il faut que chacun s'en sente. Les valets se sentent de la bonne fortune de leur maistre. Il se sent encore de l'accent, des moeurs de son pays.

SE SENTIR, signifie aussi, Commencer à se connoître. Ce Prince commence à se sentir, à connoistre ce qu'il est, sa grandeur, son pouvoir. Cette fille commence à se sentir, à voir qu'elle est propre au mariage. Il a le corps maleficié, il ne sent point qu'il soit homme. Il est tellement transporté de joye, qu'il ne se sent pas. Les malades ne sentent pas leur mal, ne connoissent pas l'état de leurs maladies, le peril où ils sont.

On le dit aussi des choses inanimées. Le vin se sent du fust. Le mortier se sent des aulx, des drogues qu'on y a pilées.

SE SENTIR, se dit aussi figurément en Morale, de la bonne ou mauvaise education ou doctrine qu'on a receuë. Cette famille se sent encore de l'heresie de ses peres. Cette proposition est libertine, sent le fagot, merite le feu. Cette Morale se sent encore de la premiere pureté de l'Eglise. On se sent toute sa vie des bonnes instructions qu'on a receuës en jeunesse.

SENTIR, signifie aussi, Avoir l'air, la mine de quelque chose, donner la connoissance de ce qu'on est. Ce Gentilhomme ne sent point ce qu'il est, il ne sent point son bien, il sent son paysan, il en a la mine.

SENTIR, se dit proverbialement en ces phrases. On ne sçauroit si peu boire, qu'on ne s'en sente : ce qu'on dit à celuy qui fait quelque extravagance à table, ou aprés avoir un peu beu. On dit en ce sens par excuse, Que sert-il de boire, si on ne s'en sent. On dit aussi, qu'un homme a bon nez, qu'il sent de loin, pour dire, qu'il est prudent, qu'il prevoit les choses. On dit d'un valet, qu'il sent son vieux gratté, pour dire, qu'il se relasche, parce qu'il y a long-temps qu'on ne l'a chastié. On dit aussi, que la caque sent toûjours le hareng, pour dire, qu'on se sent toûjours de la bassesse de sa naissance, de sa profession, quoy qu'on ait changé de fortune. On dit aussi d'une chose qui put, qu'elle sent bien plus fort, mais non pas mieux que roses, qu'elle sent le faguenas, l'épaule de mouton. On dit aussi des provisions de bouche, & sur tout du vin qui se gaste, qu'ils sentent le dommage de leur maistre.