subst. fem. C'est le plus gros des poissons. Pline fait mention de quelques Baleines longues de quatre arpents, & d'autres de 200. coudées : mais il se trompe, ou il exagere. Il y en a dont les os ou arrestes sont capables d'estayer ou de servir à construire de grands édifices. Les Baleines du Nord sont beaucoup plus grandes que celles qui atterrissent sur les costes de Guyenne, ou de la Mediterranée. Il y en a pourtant à l'Amerique de fort grandes, qui ont jusqu'à 90. ou 100. pieds entre la teste & la queuë, dont les nageoires ont 26. pieds, les ouïes trois pieds, & la largeur de leur queuë est de 23. pieds. Il y en a de plusieurs sortes qui produisent toutes des Baleinons vivants & parfaits animaux, mais qui n'en portent que deux tout au plus. Elles les nourrissent à la mammelle avec grand soin. La nourriture des Baleines est une eau ou escume qu'elles sçavent extraire de la mer, à ce que disent Aelian, Rondelet & Gesner. Elles vivent aussi d'un petit insecte que les Basques nomment Gueld, qui est le Psillus marinus, ou la Puce de mer, qui se trouve dans le Nord en grande abondance pour nourrir le gros poisson. En effet dans la dissection des Baleines on ne trouve autre pasture dans leur estomac que de l'eau espaisse, & de ces menus insectes, rarement quelques anchois ou petits poissons blancs, mais jamais de gros poissons, ni de morceaux d'ambre, comme ont voulu faire croire Cardan & autres. On a quelquefois trouvé deux ou trois hottées d'herbes dans leur grand sac ou estomac. Aussi la plus-part des Baleines n'ont point de dents, mais seulement des fanons ou barbes dans la gueule larges d'un empan, & longues de quinze pieds plus ou moins, finissant en franges semblables par le bout aux soyes de pourceau, lesquelles sont enchassées par enhaut dans le palais, & rangées en ordre selon leur differente grandeur, comme le manteau d'un oiseau. Ces barbes servent à dilater & à restreindre les jouës de la beste, qui sont quelquefois si amples, qu'elles sont capables de contenir le Baleinon nouvellement né, comme dans une boëste, pendant les orages, comme écrit Olaus.

Il y a une espece de Baleines qui ont de petites dents plattes dans la gueule sans fanons ; & de celles-là les Basques tirent la drogue qu'on nomme Sperme de Baleine, qui n'est autre chose que le cerveau de la beste, dont ils remplissent des tonneaux, le puisant dans le crane avec des poëslons ou grandes cueillieres. Les Droguistes l'estraignent, le lavent, & le preparent en sorte qu'ils le rendent blanc comme la neige ou fleur de sel, & ressentant l'odeur de la violette. Ils l'ont nommé ainsi, à cause que les femmes s'en servent pour faire un fard excellent.

Il y a une autre espece de Baleine qui a l'ouverture de l'oreille sur les espaules. La queuë de la Baleine luy sert à nager en frappant l'eau. Elle s'en sert aussi à renverser les barques des Pescheurs qui la poursuivent.

Les Pescheurs appellent bonnes Baleines, celles dont ils tirent le plus d'huile. Elles n'ont qu'un seul évent sur le front, d'où sort assez laschement une bruine d'eau ressemblant à de la fumée : ce qui les fait remarquer, lors qu'elles viennent en haut pour respirer. Ces bonnes Baleines sont femelles, & le plus souvent nourrices, car c'est alors qu'elles sont les plus grasses.

Il y a d'autres Baleines nommées Physeteres, ou Souffleurs, qui éjaculent & font rejaillir leur fumée de la hauteur d'une lance comme par une seringue. D'autres fument & respirent par deux ouvertures toutes posées sur le front, car c'est leur maniere de respirer, qui se fait à grand bruit ; ce qui les fait entendre & reconnoistre de bien loin, avant qu'on les voye. Leurs nageoires sont nommées bras, & sont couvertes de gros cuir noir aussi bien que la queuë & tout le corps, à la reserve du ventre qui est blanc. Il y a une autre espece de Baleines qu'on appelle Jubartes.

Leur passage vient en hiver depuis l'Equinoxe de Septembre ; & elles s'arrestent en un lieu nommé la Chambre d'amour, proche les murs de l'ancien Chasteau de Ferragus à une lieuë de Bayonne. Elles s'y viennent engouffrer pour éviter les profondes tenebres de la Mer Glaciale du Nord, où elles sejournent pendant tout l'esté, (car elles aiment la lumiere & le soleil) afin de jouïr d'un jour continuel de six mois. Quand il se retire, elles courent en flotte vers le Pole du Sud.

La Baleine suit ponctuellement son Baleinon : ce qui a fait croire à quelques Naturalistes, comme à Aelian, que c'étoit un poisson different, qu'ils ont nommé Musculus, ayant presumé que la nature l'avoit produit exprés pour servir de guide à la Baleine. Cardan l'appelle Orca, & croit qu'il poursuit la Baleine pour la blesser par le foible du ventre : mais au contraire cela n'arrive que quand le Baleinon se dresse à la tetine pour prendre son aliment.

C'est une fable que tout ce que les Anciens ont dit d'un poisson qui sert de guide aux Baleines. Jean Cabri Academicien de Florence fait mention d'une Baleine qui échoüa sur les costes d'Italie en 1624. qui avoit, dit-il, la gueule si large, qu'un homme à cheval y auroit pû entrer commodément. Pour la prise & la pesche des Baleines, voyez cy-aprés Harpon, & Harponneur.

Il y a des Baleines si grasses, que vives & mortes elles surnagent. Leur huile a une qualité merveilleuse ; car quoy qu'elle soit toute bouillante, on y peut tremper la main sans se brusler. Elle sert pour engraisser le bray, pour enduire & spalmer les navires, pour brusler à la lampe, aux Drappiers pour preparer les laines, aux Courroyeurs pour les cuirs, aux Peintres pour certaines couleurs, aux Foulons pour faire du savon, aux Architectes & Sculpteurs pour faire une laitance ou destrempe avec ceruse ou chaux qui durcit & fait crouste sur la pierre molle & venteuse qui en a été enduitte, & la fait resister aux injures de l'air. Et les fanons avec le membre genital s'employent à faire des parasols, des éventails, des baguettes aux Escuyers & aux Huissiers, des corsets & busques aux Dames, & à plusieurs ouvrages de Tourneurs, Couteliers, &c. Un bourgeois de Ciboure nommé François Soupite a trouvé l'invention de cuire & de fondre les graisses à flot & en pleine mer, bastissant un fourneau sur le second pont du navire. On se sert des grillons & du marc de la premiere cuite, au lieu de charbon, pour la seconde.

Les Baleines sont en si grande abondance au Nord de l'Islande & vers Spisberg, qu'en esté ces monstres nagent & s'ébattent en grosses trouppes comme des carpes dans un vivier, ou du poisson blanc dans une riviere. Quand elles sont blessées, elles font un cri horrible, & toutes les autres qui le peuvent entendre y accourent. Leur agilité est inconcevable ; car on en a veu une qui étant harponnée entraina le vaisseau six ou sept lieuës loin en trois quarts d'heure. En Angleterre les Baleines sont des poissons Royaux qui appartienneut au Roy, aussi-bien que les esturgeons, ensorte que la teste de la Baleine appartient au Roy, & à la Reine la queuë.

Ce mot vient du Grec phalaina, comme balaina, selon l'ancienne coustume des Grecs, qui disoient, par exemple, puxos pour buxos. C'est le sentiment de Festus. On ajoûte qu'elles sont appellées de ce nom, à cause qu'elles jettent fort haut l'eau de la mer, car en Grec ballein signifie jetter, lancer. D'autres font venir ce mot phalaina de phalos, qui signifie en Grec reluisant. La Baleine est un animal à poil, & ses poils reluisent de loin sur sa teste. On pourroit encore ajoûter que la Baleine est appellée par les Grecs phalaina de phalos, reluisant, à cause de certaines taches blanches qu'elle a qui paroissent de fort loin.